Réalité transcendante (libre)

Il la regarda, tourna le visage un peu plus pour la suivre du regard.

Elle portait un vêtement noir, un débardeur léger et une robe plissée. Sobre. Éclatante. Il regarda la démarche roulée, le sourire qui lui fit battre le coeur et les yeux...

Elle passa.

Il s'enivra de son parfum, aurait voulu caresser la soie de ses cheveux qui dansait dans son sillage.

Elle ne ralentit pas et continua. Sa petite amie lui adressa un regard torve.

Elle portait un sac de sport semblant lourd.

Après avoir marché dans le parc, s'être attiré une fascination fervente d’un jeune homme et la jalousie haineuse de sa compagne, elle s'assit sur un banc.

Elle ne savait rien du monde réel.

Elle est d'ailleurs.

Elle vit ailleurs.

Un moineau. Qu'il est mignon.

Et voilà Yaëlle qui tend le bras pour attirer l'oiseau.

La magie se distille dans l'air sec.

Comme des rubans colorés. Sa voix devient un chant mélodieux.

L'oiseau se pose sur l'indexe tendu.

Elle aime les oiseaux Yaëlle.

Dans un parc, assise sur un banc, une jeune fille pleure à chaude larme.

Dans ses mains, le corps inerte d’un petit oiseau.

Elle se lève et sort une petite pelle de son sac. Elle a toujours une pelle sur elle.

Elle creuse rapidement dans la terre meuble et y enterre l’oiseau.

Elle déteste le monde Yaëlle.

Il est fragile, moins qu’elle.

Pourquoi personne ne veut-il danser ?

Elle s’assit encore sur le banc, observant les ronds humides que font les larmes sur sa jupe.

Si un photographe passait par là, il aurait aimé prendre cette photo.

Elle ne le sait pas Yaëlle, mais elle rayonne. Et les Humains, ne rayonne pas ainsi.

Waw, elle avait peut être trop forcer sur sa dose matinale. Candice planait comme rarement, ses mains dessinaient dans l'air des formes inconnues, mais pleines de lumière et de couleur elles émerveillaient la belle brune qui restait là, étalée sur le sol de son appartement.
L'avantage à être une sorcière, c'est qu'une fois que les effets de la drogue nous laissaient, il suffisait de prononcer quelques sorts pour recouvrir toute sont intégrité mentale. C'est d'ailleurs ce que fit Cherry quand la vieille du troisième vint frapper à sa porte, comme d'habitude offrirait elle avec cœur-joie une tarte et son éternel potin du dimanche.
Candice se releva non sans difficulté, s'appuyant sur son divan et reprenant lentement son équilibre, elle traversa le salon, se trompa une ou deux fois de direction et arriva devant la porte.

« Bonjour ma petite Candice !! Je t'apporte ta tarte »

Candice esquissa un léger sourire, après tout elle n'était pas méchante cette vieille peau.

« Merci Nicole, j'avais faim justement. »

La vieille Nicole lui rendit son sourire et se retourna vers l'escalier, satisfaite. Il n'y aurait pas de potin ce dimanche...

La belle brune referma doucement la porte, prit une part de tarte et partit vers sa chambre où elle enfila une petite tunique et ses éternels escarpins.
Le soleil dehors semblait l'exhorter à sortir, il en venait même à faire de sa piaule un vrai four. Candice ne résista pas et quitta son studio, s'engouffrant dans la ville que de chauds rayons s'occupaient de rendre impraticable. Direction, les parcs du Luxembourg. L'endroit le plus frais de la ville à cette heure ci.
Candice évita les grandes avenues, empruntant les petites allées qu'elle appréciait pour leur pierre fraiche qu'elle aimait caresser. Sa silhouette glissait avec grâce entre les groupes de touristes, elle tourna à droite, longea un grand immeuble et put pénétrer aussitôt les jardins de verdure.
Ce fut au détour d'un chemin de terre qu'elle aperçut la jeune femme, une sorcière en plein dans le parc et personne ne la remarquait. Candice s'en approcha, curieuse, et observa avec délice les illusions qu'elle créait avec talent.

« Tu n'as pas peur de te faire repérer par les chasseurs toi.. »

Elle lève les yeux te regarde. L'ambre est profond.

Une moue gourmande vient ourler les lèvres. Elle te sourit.

Elle arrange d'un geste précieux une mèche sombre qui s'amusait à lui chatouiller la joue.

Après un instant, les larmes s'étant taries immédiatement, elle prononce quelques mots.

- Par qui ?

Le ton est désinvolte, comme si tu lui parlais de la météo et qu'elle s'enquérait si demain sera pluvieux ou radieux.

Il sera radieux si le soleil était à l’image de son sourire.

Elle a des jolies dents nacrées.

La magie ne cesse de danser autour d’elle, comme une ronde incessante.

Elle te frôle. T’entoure. Elle te chante une chanson d’amour dramatique.

Elle est langoureuse.

La jeune fille sourit, sa magie te sourit en effectuant des volutes dorées et farceuses.

Elle est pensive, l’onde se fait calme.

C’est un beau livre. Un livre vierge qui s’ouvre grand au monde.

La maîtrise est instinctive. L’art brut.

Le genre qui nait et grandit esseulé, qui s’apprend en autodidacte.

Et de ce fait passablement, voir dangereusement, imprudent.

Elle range la pelle dans le sac.

Est intéressée par un passant vers laquelle sa magie se précipite.

Comme un enfant qui mettrai n’importe quoi à la bouche pour voir.

Le passant s’arrête, il sourit. C’est un vieil homme.

Dans son cœur s’est éveillé la jeunesse.

Palpitante. Enivrante. Implacable.

La magie se retire. Le lien cesse.

L’homme repart, les épaules plus voûtées encore.

Il y a pire fin que la mort quand on voit la perfection rêvée.

La mort est douce.

L’attente et le souvenir amers.

La réalité devient fade.

- Demain… il fera beau.

Son visage respirait la pureté de l'enfance, son regard était comme un écho à la naïveté frivole, sorte d'oiseau de bonheur que rien ni personne ne parvenait à capturer. Elle souriait, pourquoi ? Candice n'en savait rien, elle lui répondit par un léger sourire, plus timide.

« Par qui ? »
« Par ces êtres qui se disent humains mais qui ne sont rien de plus que des animaux ? Par des chasseurs ? »

Elle parlait avec légèreté, sans vraiment accorder son ton avec le sérieux de ses paroles. Cherry s'installa sur le banc à côté de la jeune fille, elle avait des yeux bruns, leur teinte semblait luire sous le soleil doré, vivait elle dans le même monde que Candice ? Rien n'était moins sûr. Soit elle se cachait derrière cette façade puérile afin de se protéger des horreurs que le monde s'afférait à distiller dans l'air, soit tout en elle transcendait la douleur de ce monde, n'y voyant plus que la douce beauté. Sûrement était elle un mélange de ces deux possibilités.
Ses mains se dirigèrent vers un vieil homme qui passait non loin, bientôt milles images prenaient forme autour de lui, son visage rayonnait de bonheur sans raison, le seul à voir l'illusion, il entrait l'espace d'un instant dans le monde de la jeune enchanteresse.

« Moi c'est Candice. Tu viens souvent ici ? Je ne t'y avait jamais vue.. »

La belle rousse se tourna vers l'intérieur du parc, admirant silencieusement les enfants et les femmes, les hommes et les âmes dansant tous. Ils jouaient, riaient, vivaient. Ce parc semblait avoir la faculté d'apaiser les âmes en peines, la guerre n'avait aucune consistance ici..

« Ces enfants n'ont même pas besoin de tes dons pour voir la magie, c'est fou. » dit elle sans vraiment s'adresser à l'inconnue.

- J’aime les animaux. C'est tant mieux si ce sont des animaux. Je m'entendrais bien avec eux. Je crois que j’en ai rencontré un de tes chasseurs. Il me suivait. Nous avons dansé.

Un silence, réminiscence d’une danse passée.

Un petit sourire amusé transforme la moue distraite.

- Il était mauvais danseur.

La critique est lourde. Sèche.

Elle claque.

Puis oublie. Ce n'est pas important.

Tu as attiré sa curiosité.

Elle t’observe.

- Je viens d’arriver en ville. Mon nom est Yaëlle. Je viens de Bretagne.

Elle regarde les enfants.

Distraite par un jeu. Un instant seulement.

Non, les enfants ne l’intéressent pas vraiment. Ce qui l’intéresse c’est la femme près d’elle.

Elle lui semble différente des êtres humains qu’elle a croisé jusque ici.

Un peu comme maman.

Elle devine sans doute, mais cela importe peu pour elle.

Après tout, la réalité... c’est quoi ?

La réalité peut être tout ce qu’on souhaite et qu’importent les différences des autres.

Ils sont les mêmes, tous.

- Vous êtes belle.

Elle te sourit à pleine dent. Le regard malicieux, coquin.

Elle était intriguée, Candice avait déjà rencontré des sorcières quelque peu dérangées, mais celle ci était différente. Il n'y avait pas de folie dans ses yeux, simplement l'écho d'un monde lointain et pourtant si proche d'elle.
Elle parlait d'un chasseur, danser, un mauvais danseur. Candice n'y comprenait pas grand chose, simplement que le pauvre homme avait du profiter avec joie de ses dernières heures. Cette femme n'était pas naïve, cela se voyait, elle tuait sans vergogne, son regard le disait.
Cherry s'étira un peu, elle s'appelait Yaëlle, un joli nom.

« Ravie Yaëlle. Qu'est ce qui t'amène dans la capitale ? Après tout c'est pas un endroit très conseillé pour les sorcières... »

La jeune fille enchaina tout aussi vite sur un autre sujet, Candice était belle, la jeune rousse rougit aussitôt. On ne lui disait pas souvent, encore moins les femmes.

« Et bien, merci. Je te retourne le compliment. »

Candice se leva, sentant approcher un chasseur qu'elle avait rencontré quelques jours plus tôt, il était coriace. Peut être pensait il pouvoir abattra une prêtresse parmi les plus puissantes...

Qu’est ce qui m’amène ?

La question surprend, elle semble y méditer un cours instant.

Avec le plus grand sérieux.

Un grand sourire éclaire son visage. Elle sait !

Maman est morte.

Et puis je voulais voir la ville. Je croyais qu’elle serait belle.

Elle sourit, il n’y a aucune tristesse, aucun regret qui émane d’elle.

Une constatation lucide et dénudée.

Quand tu te lève, elle suit ton mouvement.

Sa magie ne vient pas t’entraîner.

Elle a comprit instinctivement que cela ne fonctionnerait pas.

J’aime les choses belles.

Elle tend une main, touche ta joue.

Elle a des doigts fins, des mains délicates, fraîches.

Une caresse de papillon, la main se retire.

Je suis une sorcière ?

Elle incline légèrement la tête.

La question est sérieuse.

Il n’y a pas de guerre, pas d’ennemi dans l’univers de Yaëlle.

Une ignorance innocente. Attachante.

Elle s’étire comme un chat, tout en volupté.

Il fait beau.

Candice l'écoutait à moitié, mais bien assez pour tiquer quand la jeune enfant parla de sa mère, morte, sans un once de tristesse dans sa voix. Comme si c'était ainsi et rien ne pouvait le changer, que pleurer et s'accabler de douleurs était quelque chose d'absurde voire d'irrespectueux pour le mort. La jeune rousse se tourna vers elle, sourit quelque quand Yaëlle tendit sa main vers sa sa joue pour ensuite se retourner vers sa cible.

Le chasseur était là, il l'avait vu et s'apprêtait à tirer un coup de feu quand Candice, murmurant quelques confuses incantations, fit s'échapper du sol comme une race folle, un pan de terre entier vint monter et l'air et s'affaler sur la silhouette immobile. Tout alla si vite que presque personne ne vit la scène.

« Tu es une sorcière oui. Un être capable de choses merveilleuses, mais qui dans ce monde où tout l'accable, n'a que très peu d'options : Manger ou être mangé. »

Toi. Tu es une sorcière.

C’est accusateur.

Le tutoiement est venu.

Le déférence envolée.

Pauvre monsieur.

Elle se tourne vers toi, ses yeux semblent briller plus encore.

Il y a d’autres solutions.

Si une sorcière est ce type d’être primitif, je n’en suis pas une.

Je le refuse.

Je ne suis pas capable de choses merveilleuses… je suis merveille.

Maman avait raison.

Une bonne maman.

Elle ramasse son sac.

Petite fille soleil.

Tu es comme eux.

Tu es pareille à eux.

Tu fais le mal de la Mère.

La voix est triste. Accablante.

Pour peu, elle pleurerait.

Tu as peur.

Et tu fuis.

Mais on ne peut pas La fuir.

Tu verras, tu verras !

Elle te sourit de nouveau.

Un sourire de maman qui gronde gentiment son enfant.

Allons, ce n’est pas si grave si tu as fait une bêtise.

Elle esquisse un pas de danse, la perfection semble s’accorder au mouvement.

Tu vis hors de moi. Alors je ne peux rien pour ton pauvre cœur.

Tu devras comprendre toute seule.

La beauté de l’harmonie est saccagée.

Elle tisse sa magie pour les humains qui sont perturbé par l’événement.

Bientôt ils quittèrent l’endroit sans plus y penser.

Bon. Maman a réparé les dégâts mais ne recommence pas crapule.

Elle est plus jeune que toi, mais ce n’est pas la jeunesse qui brille dans son regard.

Comment aurait elle réagit si l'action avait été plus cruelle. Candice s'attendait à ce genre de réaction, après tout Yaëlle ne vivait pas tout à fait dans le même monde, nouvelle à Paris elle ne connaissait pas encore la rudesse de la vie en ces lieux.

« Tu es une merveille oui. Une merveille qui au plus profond de son édifice cache une tombe des plus froide. Il n'y a pas d'autres solutions, penses tu détenir une clé que personne d'autre n'a ? Tes illusions ne sont que des illusions, et le jour où ta magie t'abandonnera, tu comprendras que tes volutes de magie n'avaient tout ce temps été qu'écrans à la réalité, une réalité que tu ne veux pas affronter. »

Elle voyait sa magie se répondre autour des esprits voisins, les hommes et femmes qui avaient vu la scène s'apaisaient et repartaient en rires et joies. Yaëlle pensait avoir réparer la faute.

« Tu penses que ta magie peut préserver de tout. Peut être que dans ta Bretagne profonde c'était possible, mais pas ici. Chaque jour tu te verras épiée, traquée, attaquée. Et tu n'auras pas le choix. Cette homme, le mauvais danseur. Tu l'as tué, ni plus ni moins, simplement tu ne l'acceptes pas. »

Ses paroles étaient dures mais Candice appréciait cette sorcière, elle ne voulait pas la voir tuée par les chasseurs qui grouillaient dans la capitale.

Une tombe joliment décorée vaut mieux qu’une tombe délabrée tu ne pense pas ?

Elle file l’analogie, et te souris. Alors ?

Moi je sais. Toi tu ne sais pas.

Toi tu juge. Moi je ne juge pas.

Un jour je ferais moi aussi ma dernière danse, l’ultime.

Elle sourit, tend le bras, arabesque gracieux.

Et ce jour là, j’honorerai ma cavalière.

Et ce serait beau.

Une référence à un cavalier imaginaire, elle revient un peu plus vers toi.

Ma magie ne me préserve pas de tout.

Crois-tu que tes pouvoirs te permettent de me comprendre, de lire en moi ?

Ma magie est simplement ce que je suis.

Comme le serait un de mes bras, ma têtes.

C’est ce qui fait que je suis moi.

Mon essence.

Elle se tait un instant.

Cet homme est mort. C’est exact. Comme le moineau.

Essaie d'ouvrir les yeux sur ma réalité sans préjugé.

Elle te regarde, tes paroles se veulent moralisatrice sans doute.

Elle comprend cela.

Elle ne s’attendait pas à être comprise en retour.

Qu’importe.

Qu’elle vive sa vie de pénitence.

C’est un choix après tout de se tromper.

Et se tromper est ne pas se tromper.

Chacun son destin.

La mort est un cadeau quand elle est belle.